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APPROCHE  PSYCHOLOGIQUE ... APPROCHE  PSYCHOLOGIQUE ... APPROCHE  PSYCHOLOGIQUE ... APPROCHE  PSYCHOLOGIQUE ... APPROCHE  PSYCHOLOGIQUE ...

[La filiation] - [L'entrée dans la grand-parentalité] - [Les GP dans la dynamique des PE]

LA FILIATION

[Le lien de filiation] - [Les GP face à la fragilité du lien] - [Les PE pour les GP] - [L'art d'être GP]

 

Le lien de filiation

            Notre culture occidentale insiste beaucoup sur le fait qu’on peut se faire tout seul. Certains enfants sont incapables de penser leurs origines, de dire où ils habitent, de citer leurs grands-parents parce que leurs propres parents ont toujours considéré qu’ils n’avaient pas – plus – de parents. Il y a gommage.

Chacun se trouve devant un choix :

         -  être un maillon dans la suite des générations ;

         -  être sa propre origine ;

         -  être sa propre fin.

Or, Pierre Legendre écrit : « Il y a sujet quand il y a du lien, il faut pouvoir s’inscrire dans sa généalogie. »

Le sujet va devoir penser :

         qu’il vient d’un couple basé sur la différence des sexes : son origine ;

         -  que l’engendrement dépend du temps : il y a un ordre, c’est la généalogie ;

        qu’il est le fruit de la rencontre d’une différence.

            La filiation institue la vie « en nouant ensemble le biologique, le social et l’inconscient » nous dit encore Pierre Legendre.

La théorie des liens dérive de la théorie de l’investissement d’objet. Un lien est le fruit d’investissements d’objets croisés entre deux personnes. L’organisation psychique du lien est une approche psychanalytique (cf. les travaux de Freud 1921,  Winnicott 1965, Pichon Rivière 1971.)

Différents niveaux interviennent dans le lien au fur et à mesure que la relation se consolide :

         l’identification primaire active : un niveau d’empathie marqué par l’investissement narcissique, c’est la recherche "du même" ;

         -  l’attachement à un objet interne : l’autre est vu comme complémentaire de soi, attrayant ; c’est dans cet investissement d’objet que s’inscrit la génitalité, c’est la recherche de la différence.

Le lien comporte deux pôles (les personnes) et un espace potentiel rempli par une interaction agie et fantasmatique. Chaque polarité se définit d’après les circonstances : le regard de l’autre infléchira l’identité de chacun.

L’union sentimentale entre les parents apparaît comme un guide des autres liens, comme un attracteur groupal.

On retiendra que l’héritage généalogique comprend une part maudite et une part bénie (celle du message symbolique des origines.)

Il est important de savoir que l’on existe dans une généalogie, que l’on est sujet d’une parenté.

 

Les grands-parents face à la fragilité du lien de filiation

            Les grands-parents sont un pôle de stabilité de la famille, aujourd’hui. Mais peuvent-ils assumer un rôle de compensation et être capables de maintenir la cohésion familiale ? Réparation délicate qui vient en contradiction avec la norme de non-intervention imposée aux grands-parents !

     En cas de divorce des parents, le grand-parent est investi, de par son statut d’aïeul, de la charge de préserver le lien de filiation ébranlé par la rupture. C’est ainsi que les jeunes femmes divorcées reçoivent beaucoup plus souvent une aide des grands-parents (garde d’enfants, argent). Les grands-parents de moins de 65 ans sont davantage présents dans ces cas-là.

     Après un remariage, la relation grands-parents/petits-enfants nouveaux dépend beaucoup de la proximité résidentielle et de l’âge des enfants – au-delà de 4/5 ans, le lien émotionnel est plus difficile à nouer et la relation sera plus froide.

Le lien entre le biologique et le social se tisse différemment. Dans le cas d’une recomposition familiale, il y a compétition entre les lignées et cela se ressent dans les rapports avec les différents membres.

      Être parent d’un parent isolé est une situation délicate parce que ce-dernier devient symboliquement le « frère » de son enfant face à son propre parent. La confusion des places généalogiques peut être source de troubles psychologiques pour l’enfant.

     Dans le cas où ce sont les grands-parents qui divorcent et se remarient – ils ont souvent entre 50 et 65 ans – la nouvelle épouse se sent jeune, active sexuellement et s’investit peu auprès des petits-enfants de son compagnon. 

Le rôle destabilisateur/compensateur  n’est plus joué et les familles sont souvent désorientées

 

Ce que sont les petits-enfants pour les grands-parents

            L’enquête menée par les auteurs Arthur Kornhaber et Kenneth Woodward en 1996 auprès de 300 personnes et leur demandant ce qu’ils ont vécu quand ils sont devenus grands-parents pour la première fois, fait état :

     d’un fort instinct de vie

 -  « être là, le voir dès sa naissance »

 -  « voir son propre enfant mettre au monde un enfant et savoir que c’est passé par vous »

 -  « il fallait que je réfléchisse ; j’étais en proie à de profondes émotions »

 -  « je pleurais de joie d’être grand-père et de tristesse de n’avoir pas participé à l’événement »

Ces réactions prennent racine dans la biologie et se manifestent par des réponses psychoaffectives – souvenirs de leurs propres expériences ; sentiment joyeux à la naissance ; réflexions sur la vie, la perpétuation de leur lignée ; besoin d’agir, d’aller voir le bébé, d’aider les nouveaux parents.

     du développement du lien vital

Les premières années de la vie de l’enfant jouent un rôle crucial dans la relation qui va s’instaurer.

Cinq facteurs sont nécessaires pour développer ce lien :

 -  dimension du temps : passer des heures avec lui (cf. aperçu d'enquête)

 -  dimension d’espace : ne pas être trop éloignés (cf. aperçu d'enquête)

 -  le sens de la famille

 -  le caractère personnel : altruiste ou non

 - le choix de s’impliquer ou non.

 

L’art d’être grands-parents

 L’accès à la grand-parentalité conduit à une position identificatoire spéciale, identification double, symétrique à la fois à l’enfant qu’on a été et à son propre aïeul disparu. Devenir grand-parent, c’est en quelque sorte reprendre à son compte tous les éléments de sa relation à son propre grand-parent. De ce doublement, naît chez le grand-parent le sentiment répétitif qu’il œuvre pour la postérité.

Souvent les grands-parents confient à leurs petits-enfants des passages de l’histoire de leur vie. Il y a donc des dispositions psychiques qui favorisent l’art d’être grand-parent.

L’arrivée du premier petit-enfant, surtout s’il est de la fille, provoque chez la nouvelle grand-mère un sentiment étrange. Il y a un tel télescopage du passé sur le présent que l’on ne sait plus si ce qu’on éprouve est tout à fait actuel ou si c’est le réveil de sentiments que l’on croyait oubliés. La nouvelle grand-mère n’est plus dans l’immédiateté de l’action, mais dans l’intemporalité de la réflexion. Elle devient un nouveau maillon.

La qualité de la relation au petit-enfant va dépendre de la qualité du travail intérieur – conscient ou non – fait par les grands-parents.

On ne décide pas de devenir grands-parents, ce sont les enfants qui vous font devenir grands-parents. Il  y a un changement de génération, une bascule : on passe en tête de la généalogie. Il y a création d’une lignée : « Je sens que je deviens grand-père et c’est Chloé qui fait ce miracle. J’ai du mal avec l’idée d’être grand-père, ça me fait vieillir. Je revois mes propres grands-parents qui me semblent d’un autre âge. » (Jean, 55 ans).

Être "grand-parent" est une sorte d’adoption réciproque, une élection.

 

 

L’entrée dans la grand-parentalité  

[L'arrivée du premier PE] - [Les styles grands-parentaux] - [Les affinités électives]

 

L’arrivée du premier petit-enfant

            L’arrivée du premier petit-enfant a une importance spéciale. C’est l’amorce d’une nouvelle étape de vie, d’un nouveau cycle familial. C’est aussi une transition dans le processus de vieillissement.

L’entrée dans la grand-parentalité passe par plusieurs chocs successifs

le choc de l’annonce : c’est un événement majeur surtout pour les grands-mères.

 du côté  de la mère de la future mère

C’est la perception d’une fin, d’un renoncement à ce qui a été sa féminité d’autant que c’est la période de la ménopause. Il y a comme délégation de fécondité.

On note un fantasme d’emboîtement – mon corps a porté ce corps qui en porte un autre ainsi qu’une réminiscence de sa propre mère dans cette situation.

Les deux femmes vont passer d’une relation de mère à fille à une relation de mère à mère. Il y a un continuum affectif « mère-fille-enfant »

- du côté de la mère du futur père

On note une relative distanciation ainsi qu’une jalousie qui viennent de la rivalité belle-mère/belle-fille.

- du côté des hommes

Les futurs grands-pères s’expriment peu. Le père de la jeune femme reste discret – cf. Œdipe. Le père du futur père pense que ce sera un fils.

le temps de l’attente : c’est celui de « l’Enfant imaginé », l’amorce de remaniements importants du rapport à soi, aux autres, à la vie.

le choc de la naissance va raviver le vécu, trente ans en arrière à l’arrivée de ses propres enfants. La confrontation avec l’enfant réel est   souvent décevante puisque le petit enfant est « marqué par son autre parent comme étranger ».

L’entrée dans la grand-parentalité donne une nouvelle identité

le bouleversement de la lignée

Le bébé se substitue en tant qu’enfant à ceux qui cessent de l’être pour devenir parents et transforment par là-même leurs géniteurs en grands-parents.

la recherche de ressemblances

       du côté des grands-mères, c’est la joie et le choc émotionnel :

- la grand-mère maternelle va devoir prendre une distance par rapport à sa fille parce qu’il faut qu’elle compose avec le jeune père.

- la grand-mère paternelle est souvent à distance.

Ces deux grands-mères, habitées par des rêves différents, peuvent-elles se rejoindre ?

       du côté masculin :

- le jeune père revit le lien d’identification à son père. À travers son enfant, il se recentre sur lui pour chercher sa place et son rôle auprès de son petit, dans une démarche égocentrique.

- les grands-pères se sentent moins impliqués. On relève une fierté plus évidente quand le petit-enfant est un garçon.

Pour une bonne grand-parentalité, il faut donc trouver la bonne distance. Les nouvelles grands-mères doivent accepter de se voir repoussées dans la chaîne des générations. Cette acceptation confère une nouvelle identité.

Souvent se pose la question de la garde du petit-enfant, au quotidien si la proximité le permet, le week-end ou les vacances, pour aider le couple à rester ouvert à son entourage. Les formes de garde influent sur les relations familiales – mais ce n’est pas notre sujet et nous n’aborderons pas ce phénomène.

La grand-parentalité est « convoquée », elle n’est ni obligatoire ni volontaire.

Les styles grands-parentaux

            Le style grand-parental s’est transformé. Les nouveaux grands-parents le constatent quand ils se comparent aux générations précédentes.

Le style grand-parental est fait de proximité affective et de complicité.

 Il s’épanouit dans les loisirs et les jeux – les problèmes d’autorité et d’éducation étant à la charge des parents. Les divergences existent souvent dans ces domaines et peuvent être sources de conflits ou de tensions. Certains grands-parents tiennent à rester éloignés, n’investissant qu’à minimum la relation nouvelle.

La double norme grand-parentale

Le schéma classique de répartition des rôles veut que les grands-parents soient des parents en second – secondaires ! – et qu’ils laissent toute l’organisation de la parentalité à leurs enfants/parents. Les grands-parents ne sont que des pièces du puzzle de l’éducation et de la responsabilité des enfants.

Françoise Dolto écrivait « Les parents demandent aux grands-parents d’être là quand ils en ont besoin, mais aussi de ne pas être là quand ils n’en ont pas besoin. » Tout l’art réside dans la mesure à donner au niveau de l’engagement. Certains le refusent alors que d’autres répondent présents pour leur plus grande joie. Les différentes stratégies d’adaptation sont nombreuses.

Les affinités électives

Les grands-parents connaissent leurs petits-enfants, les fréquentent mais souvent chacun a ses préférences. À l’intérieur du couple grand-parental, c’est la grand-mère qui connaît tous les prénoms, les dates de naissances, les niveaux de classes de tous ses petits-enfants, d’autant plus pour les enfants de ses filles et surtout quand ceux-ci sont petits.

Du côté des petits-enfants, ils montrent souvent une préférence pour une lignée parce que ce sont les parents de tel parent ou pour le style de grand-parentalité. La proximité n’influe que partiellement à condition que les rencontres soient assez nombreuses et de bonne qualité.

Les grands-parents dans la dynamique

des petits-enfants  

[Au niveau conscient] - [Au niveau inconscient] - [Identifications aux GP] - [Apports des GP aux PE]

  Les grands-parents représentent un élément de base dans la structuration de la personnalité des petits-enfants.

Au niveau conscient

Par leur présence, leurs paroles et leurs gestes, les grands-parents ont une action effective sur le psychisme de l’enfant.

 

Un rôle de chroniqueur du passé

Les enfants adorent les histoires « du bon vieux temps » et redemandent à les entendre. Les grands-parents d’aujourd’hui ont vu de leur vivant beaucoup de changements : ils sont les témoins de ce qu’était la vie avant la télévision, les autoroutes, l’informatique… En évoquant leur vie d’enfant, ils permettent au petit-enfant qui vit dans un présent émotionnel, de dilater le temps, de transcender l’espace et de faire la différence entre ce que sont les choses et ce qu’elles étaient. De plus, la présence des grands-parents enseigne à l’enfant que ses parents ont été enfants, qu’ils ont vécu sous leur autorité comme eux-mêmes sont soumis à celle de leurs parents.

Biographes officiels des parents, ils racontent « les histoires de maman quand elle était petite » ou « les bêtises de papa enfant ». Ils rappellent ainsi à l’enfant que ses parents ont été dans le même état de dépendance que celui où il est à présent et dont il sortira un jour. Ainsi, l’enfant entend que son désir d’autonomie se réalisera à son tour.

Par la façon dont ils vivent, les grands-parents montrent à leurs petits-enfants qu’il existe une tradition mais aussi des différences : ainsi se transmet un héritage culturel.

L’inscription dans la suite des générations

Les grands-parents donnent à l’enfant le sentiment d’appartenir à une lignée. Ainsi il réalise qu’il est inscrit dans la suite des générations. Il peut concevoir que le monde n’a pas commencé avec lui et ne finira pas avec lui. Il y a prise de conscience de l’éphémère, de la durée, du fait que les choses changent et évoluent.

Par les photos de famille, les objets et meubles de famille, les grands-parents conservent des archives permettant à l’enfant de toucher des preuves de ses liens familiaux, de ses racines.

« Celui qui a des racines sait d’où il vient et donc qui il est » écrivent A. Kornhaber et K. Woodward. L’enfant est au cœur de sa filiation, il sait à quel groupe il appartient. C’est la succession des générations qui structure le temps de la famille et qui construit sa généalogie.

La prise de conscience du temps qui passe, de la vieillesse et de la mort

À travers ses grands-parents, l’enfant découvrira la vieillesse. L’âge d’entrée dans la grand-parentalité se situe autour de 50 ans et les grands-parents jouissent d’une bonne santé, ce qui leur permet d’être dynamiques. Lorsque les conditions physiques se dégradent, on parle maintenant du quatrième âge, ce qui correspond à l’idée qu’un enfant se fait de la vieillesse. Pour lui est vieille une personne qui manifeste un ralentissement moteur ou idéique ou encore lorsqu’elle ne manifeste pas de sentiments positifs comme la gaîté, la joie de communiquer avec lui.

En tant qu’objet intériorisé, un grand-parent laissera une image fixée à jamais dans l’esprit de l’enfant qui aura des réactions positives envers « les vieux ».

C’est en raison du décès d’un ancien que l’enfant est confronté à la notion de mort. Ainsi il apprend ce qu’est la mortalité humaine. La mort d’un grand-parent est dans l’ordre des choses, elle est un événement naturel contrairement aux morts brutales que les enfants voient à la télévision.

Pour F. Dolto, « la mort d’un grand-parent ne crée aucun traumatisme à l’enfant quel que soit le chagrin très fort qu’il peut en éprouver. » Ce deuil contribue au contraire au développement de l’enfant car il lui fait comprendre le sens temporel de l’existence humaine. 

Un rôle de régulateur de la relation parents / enfants

Être parent est difficile car la fonction s’inscrit dans un contexte de liens affectifs vitaux pour l’enfant et d’attachement émotionnel très profond pour eux. Ce contexte imprègne toute la relation éducative et rend souvent difficile la prise de distance par rapport aux problèmes quotidiens pendant tout le développement de l’enfant et de l’adolescent.

Les grands-parents peuvent être un recours et peuvent intervenir comme « tiers indulgents » en rétablissant un cadre sécurisant, en pouvant éviter que l’incident ne se transforme en symptôme. Leur position en seconde ligne leur donne un recul qui permet de relativiser la crise.

Le lien affectif entre grands-parents et petits-enfants est comme « un sanctuaire éloigné des pressions du monde extérieur » dans lequel vivent les parents.

Quand l’enfant a l’âge d’aller chez ses grands-parents pour des week-ends, des vacances, il élargit son cadre relationnel dans une vraie sécurité affective. Les grands-parents ont un rôle de régulateur et sont des partenaires actifs du « Jeu familial » au sens systémique du terme.

Partenaires d’activités

Les grands-parents prennent souvent le temps de jouer avec leurs petits-enfants – jeux de société, bricolages, cuisine, jardinage – le temps de se promener, d’aller au cinéma. Ainsi ils ont un rôle d’éveil de la créativité. L’enfant élargit son champ d’activités et stimule son imagination.

Les grands-parents se font aussi conteurs ou chanteurs de comptines d’autrefois.

 

Au niveau inconscient

En plus d’actions réelles conscientes, les grands-parents jouent un rôle dans la structuration de la personnalité des petits-enfants dans ses dimensions symboliques et imaginaires.

Dans le roman familial élargi

Le terme « roman familial » créé par Freud désigne « les fantasmes  par lesquels le sujet modifie imaginairement ses liens avec ses parents. » Le récit fantasmatique est comme un moyen auquel recourt l’enfant immature pour surmonter sa première déception sur sa famille.

L’existence des grands-parents – présents ou absents, morts ou vivants – prend valeur de traumatisme narcissique pour l’enfant car elle signifie qu’il n’est pas le premier objet d’amour de ses parents. Il faut qu’il arrive à percevoir que ses parents ont été eux-mêmes enfants d’autres parents et n’ont acquis leur statut actuel qu’au cours d’une dynamique évolutive qu’il aura lui-même à parcourir. En effet, l’enfant ne situe vraiment le rôle et la place de ses grands-parents qu’à partir du moment où il comprend que son père ou sa mère ont vécu eux-mêmes ses mêmes affects de la dynamique conflictuelle œdipienne que ceux qu’il éprouve lui-même.

Dans le conflit œdipien

Dans le cadre de l’Œdipe, les grands-parents peuvent être l’aboutissement de certains déplacements ou encore servir de pôles identificatoires.

L’enfant tenterait de se débarrasser du complexe parental en situant au-dessus de ses parents des personnages plus puissants : les grands-parents ; il dénigre ainsi la puissance parentale. Il y a donc déplacement de l’autorité parentale.

Ferenczi a parlé « d’un complexe du grand-père » : en imposant le respect au père lui-même, le grand-père dispose d’une autorité que l’enfant voudrait s’approprier pour lutter contre le père ; mais d’un autre côté, c’est un vieillard amoindri incapable de se mesurer sexuellement au père et donc un objet de mépris. Le grand-père est surtout celui qui doit mourir en premier puisqu’il est d’une génération antérieure. L’enfant est amené à déplacer sur le grand-père son désir de tuer le père par un mécanisme de défense inconscient.

On notera le « fantasme de renversement de l’ordre des générations » dans lequel le petit-fils s’identifie à son grand-père. On le retrouvait encore récemment dans la coutume consistant à donner aux enfants le prénom des grands-parents.

A. de Mijolla situe les grands-parents au centre de la « préhistoire du complexe d’œdipe de l’enfant » en rappelant que les parents ayant été eux-mêmes enfants sont liés à leurs propres parents par des sentiments, des représentations conscientes et des fantasmes inconscients encore persistants qui sous-tendent leur attitude envers l’enfant.

La personnalité de l’enfant est donc par là-même façonnée par la tentative d’imiter ses parents, mais également les idéaux des parents formés le plus souvent en fonction du grand-parent du même sexe. C’est donc, pour cet auteur, « moins en fonction d’une action effective sur la vie de leurs petits‑enfants qu’à ce niveau d’organisateur primaire du complexe d’œdipe qu’il faut situer le rôle psychique des grands-parents. »

 

Les identifications aux grands-parents

Tout enfant recherche l’amour et un lien spécifique avec chaque adulte de sa famille – rien de plus délicieux que cette relation privilégiée qui nous fait entrer en concurrence avec frères et sœurs mais aussi cousins et cousines par rapport aux grands-parents. Par exemple, nous sommes la petite fille modèle de notre grand-mère maternelle qui est une excellente maîtresse de maison ; pendant les vacances, nous l’aidions à faire la cuisine, devenue adulte, nous continuons à faire comme elle.

Il est important de prendre conscience des valeurs transmises par nos grands-parents qui constituent une trame de références à travers laquelle nous nous sommes forgés une image de nous-même, des autres et de la vie.

Parfois certains grands-parents donnent davantage de temps et de tendresse que les parents. Leur décès est un grand choc qui marque l’enfant, l’adolescent.

Un enfant moins aimé pense qu’il est fautif, qu’il n’est pas digne de mériter l’amour des grands-parents alors que cette relation dépend aussi de la personnalité du grand-parent ou des relations qu’il a avec ses propres enfants, nos parents.

Actuellement, les grands-parents ont une vie dynamique, ils apportent à leurs petits-enfants un cadre psychologique et socioculturel attrayant et ouvert sur le monde. Il est important de préciser que l’image que nous avons de nos grands-parents vivants n’a parfois rien à voir avec les identifications qu’ont fait nos parents les concernant. Tel grand-père attentionné, affectueux a été un père sévère, rigide et autoritaire ; telle grand-mère charmante a été en conflit avec son enfant.

Si nous avons peu connu nos grands-parents, nos parents nous élèvent en fonction des projections et des identifications afférentes à leurs propres parents. Tout ce qu’ils nous disent et nous racontent structure nos identifications. De même, ce qu’exprime la grand-mère de son conjoint défunt est important – idéalisé ou banni – nous allons nous en faire une représentation personnelle. 

 

Ce qu’apportent les grands-parents aux petits-enfants

Les grands-parents sont des références identitaires de filiation individuelle et sociale

Aucun être humain ne peut être à l’aise sur le plan de son identité s’il ne parvient pas à repérer sa place au sein du réseau qui l’a accueilli puis accompagné. Cette quête ne se réalise que si le sentiment de continuité s’affirme au fil des années grâce à la rencontre avec des personnes capables de témoigner du creuset familial fondateur.

Les grands-parents possèdent les clés d’une bibliothèque qui ouvre sur le passé. À partir des réponses, des silences, des rêveries, des photos, une sorte d’inconscient collectif familial s’édifie. La filiation est la résultante de juxtapositions générationnelles où la réalité des événements et leurs perceptions  finissent par constituer une aventure groupale.

Les grands-parents occupent une place privilégiée car ils peuvent donner un sens global à ce que chacun vit sur un mode parcellaire. Les enfants ne connaissent pas l’histoire de leurs parents, les mères ignorent l’itinéraire infantile de leur mari et les pères celle de leur épouse. Mais les grands-parents peuvent témoigner pour organiser les faits. Ils permettent à la famille d’avoir la conviction d’être inscrite dans une trajectoire autant spatiale que temporelle.

Les grands-parents possèdent une histoire sociale tant sur le plan de l’évolution des     conceptions politiques, morales et sociales que sur celui des changements technologiques.

Les grands-parents possèdent une zone du jardin secret originaire

Chaque histoire de famille est sous-tendue par le poids des secrets. Ils ne sont pas des éléments négatifs dans la dynamique familiale. L’aventure sentimentale des grands-parents restera inconnue pour les descendants. Les petits-enfants savent qu’une zone du passé restera cachée.

Les grands-parents témoignent d’une trajectoire de l’existence

Se retrouver grand-parent constitue une étape importante de la vie. La continuité est assurée par l’apparition du petit-enfant. Quelque chose est également achevé par rapport à son propre enfant puisqu’il accède à son tour à l’expérience de la parentalité.

Devenir grand-parent, c’est aussi officialiser un mouvement de bascule dans le décalage des générations. Être grand-parent met donc face aux idées de perte, de fragilité, de mort tout en conférant une nouvelle jeunesse à l’idée de recommencer en partie à accompagner un petit. Les petits-enfants savent que leurs grands-parents sont fragiles.